Il faut que tout change pour que rien ne change…
« Pourquoi cette injonction permanente à se transformer ? Je ne veux pas changer, moi ! ». Je n’oublierai pas le cri du cœur de cette collègue – mi-figue mi-raisin – au cours d’une réunion d’équipe. Nous étions en 2017, encore bien loin de tous les drames sanitaires, géopolitiques, sociaux et environnementaux qui nous secouent actuellement.
Depuis, j’ai souvent repensé à elle en me demandant où en était-elle aujourd’hui ? J’ai longtemps cru que son exaspération trahissait une forme de naïveté, ou un aveuglement profond tant sur le cours de l’Histoire, que sur la destinée humaine. « Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement » nous soufflent les prophètes et les philosophes depuis la Nuit des temps.
Aujourd’hui, je me dis que finalement, elle était très clairvoyante, ou en tout cas très honnête avec elle-même : c’est si difficile de changer. Et au fond, pour quoi changer ?
« Il faut que tout change pour que rien ne change », il y a quelque chose d’infiniment subtil dans cette célèbre réplique du Guépard. Pour préserver ce à quoi nous tenons, et rester fidèles à nous-mêmes, nous n’avons pas d’autre choix que de changer. Vertigineux paradoxe.
« Etes-vous d’accord si je vous dis que pour changer, il faut … changer ?! ». A chaque fois que je pose cette question à un client en quête d’innovation, c’est quitte ou double. Soit il pense que je me paie sa tête. Soit il saisit la balle au bond et accepte alors de quitter la surface des mots pour entrer dans la chair du sujet. Au-delà de la boutade, mon invitation est de s’interroger sérieusement : peut-on changer le fond sans changer la forme ? Et vice versa ? Je crois que changer est un acte radical et profond qui s’accommode mal du moindre compromis. C’est un chemin avant tout personnel que personne ne pourra faire pour moi. Pour paraphraser Céline, comme l’expérience, le changement « est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte ».
C’est souvent un choc qui le provoque. Une prise de conscience – « Je ne peux plus faire comme avant » – née de l’adoption d’un autre point de vue. Et si comprendre n’est pas transformer, comprendre en est sans doute la première étape. Puis, tout reste à faire : c’est-à-dire le plus difficile. Regarder autrement. Reconnaître et accepter, sans subir. Questionner, apprécier, trier, choisir, lâcher, cesser, explorer, envisager un autre possible, perdre ses repères, se sentir nu, vierge de tout, repartir de zéro, (re)commencer, réapprendre, échouer, améliorer, reprendre confiance. Et sans doute, pour certains, souffrir. Tandis que d’autres rêvent et imaginent…
Et vous ? Quel a été votre dernier changement ? Comment s’est -il traduit concrètement ? Comment regardez-vous l’avant désormais ?
Quand nous animons en intelligence collective, nous accompagnons les individus et les collectifs dans ce mouvement, avec ses affres et ses révélations. « Je ne change pas, je voyage », suggère Fernando Pessoa. Tout séminaire est un voyage en effet. On y repousse sans cesse nos propres frontières intérieures pour nous adapter, inlassablement, et nous transformer. Pour conquérir les nouveaux territoires de nos relations, mieux nous connaître pour mieux nous comprendre, pour mieux vivre, travailler et avancer ensemble. Au cœur des secousses et en osmose avec les balbutiements du monde.
©Laure Dumont